Ce que les déchets de Troie nous révèlent vraiment

Caligula, entre folie et savoir : quand un tyran maîtrisait la médecine

Caligula. Copenhague, Glyptothèque Ny Carlsberg. Crédit : Sergey Sosnovskiy, CC BY-SA 2.0

Une figure controversée revisitée par la science

Si l’histoire a retenu Caligula comme un despote imprévisible et cruel, de nouvelles recherches menées par l’équipe du Yale Ancient Pharmacology Program (YAPP) révèlent une facette insoupçonnée de l’empereur romain : celle d’un homme averti en matière de médecine et de pharmacognosie. Un article récemment publié dans les Proceedings of the European Academy of Sciences and Arts propose une relecture scientifique d’un épisode évoqué par Suétone dans Les Douze Césars.

Une anecdote révélatrice

Dans ce passage, un sénateur romain de haut rang, souffrant d’un mal indéterminé, sollicite un congé pour se rendre à Anticyre, petite cité grecque réputée pour ses traitements à base d’ellébore, plante médicinale alors prisée. Lorsque le sénateur, sans doute impatient de guérir, demande une prolongation de son séjour, Caligula ordonne son exécution en déclarant : « Une saignée s’imposait, puisque l’ellébore ne l’avait point soulagé. » Ce trait d’humour noir, à première vue, semble témoigner de la cruauté du souverain. Mais les chercheurs y voient une indication subtile de sa maîtrise des pratiques médicales de l’époque.

Anticyre : le sanatorium oublié du monde romain

Située sur le golfe de Corinthe, Anticyre était loin d’être une capitale culturelle ou économique. Pourtant, elle jouissait d’une notoriété singulière dans le monde gréco-romain : ses potions à base d’ellébore y attiraient les élites souffrant de mélancolie, d’épilepsie ou de troubles mentaux. L’ellébore blanc y était administré pour les maux du cerveau, tandis que l’ellébore noir purgeait les intestins. L’efficacité supposée de ces traitements avait fait de la ville un haut lieu du tourisme médical antique, une sorte de "Clinique Mayo" de l’Empire romain.

Cependant, la confusion règne encore sur l'identité exacte de la plante antique, les classifications botaniques anciennes et modernes ne correspondant pas toujours. À Anticyre même, des herboristes contemporains désignent sous le nom d’« elleboro » une variété de sureau nain, et non la plante décrite par Pline ou Dioscoride.

Une approche interdisciplinaire

Andrew Koh, chercheur au Musée Peabody de Yale, et Trevor Luke, professeur de lettres classiques, ont combiné données ethnobotaniques, études de terrain et lectures philologiques pour réinterpréter ces traditions médicinales. Leur analyse met en lumière la rareté de l’ellébore autour d’Anticyre : les spécimens identifiés correspondent à des variétés poussant à plus de 750 mètres d’altitude sur les pentes méridionales du mont Hélicon.

L’équipe ambitionne désormais d’analyser les principes actifs des échantillons récoltés afin d’en évaluer scientifiquement l’efficacité, croisant données botaniques et sources textuelles pour jeter un pont entre les savoirs anciens et les sciences modernes.

Un tyran érudit ?

Si Suétone peint un tableau apocalyptique du règne de Caligula, le philosophe Philon d’Alexandrie évoque pour sa part un empereur compétent, maîtrisant les routes commerciales et les savoirs marins. Il souligne également sa connaissance avancée des poisons et contrepoisons, savoir peut-être hérité de la mort mystérieuse de son père Germanicus, qu’il soupçonnait d’avoir été empoisonné.

Selon Luke et Koh, Caligula aurait lui-même souffert de troubles que les remèdes d’Anticyre étaient censés apaiser — notamment l’épilepsie, l’insomnie et des accès de démence. L’anecdote de Suétone pourrait donc révéler non une plaisanterie morbide, mais une référence médicale fondée : la saignée étant mentionnée dans le traité De Medicina de Celse comme traitement alternatif à l’ellébore dans les cas d’épilepsie.

Vers une réhabilitation intellectuelle ?

Sans chercher à blanchir Caligula de ses excès, les chercheurs dressent le portrait d’un homme plus complexe que ne le laisse supposer sa légende noire. Un empereur cruel, certes, mais aussi imprégné de la science de son temps, capable d’ironie mordante et d’érudition médicale. Ainsi, au cœur de la folie supposée, émerge l’image d’un souverain dont la connaissance des plantes médicinales mérite d’être redécouverte.

Sources : Université de Yale

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