Vengeance sous la croix : le meurtre du prêtre et la colère d'une noble oubliée

Enquête numéro 15 des registres du coroner de la ville de Londres pour l’année 1336–1337 (référence : CLA/041/IQ/01/006). Crédit : Les Archives de Londres.

Une découverte troublante dans les annales judiciaires médiévales

Un chercheur en criminologie de l’Université de Cambridge, le professeur Manuel Eisner, a récemment exhumé les éléments d’un crime vieux de 688 ans, mettant en lumière les rouages d’un assassinat soigneusement orchestré à Londres, en l’an 1337. La victime : un prêtre nommé John Forde, retrouvé égorgé en pleine rue, non loin de la cathédrale Saint-Paul.

Cette affaire s’inscrit dans le cadre du projet Medieval Murder Maps, une initiative du Institute of Criminology visant à cartographier les morts violentes dans l’Angleterre du XIVe siècle. Toutefois, le meurtre de John Forde se distingue nettement par la complexité de ses ramifications sociales, politiques et religieuses.

D’un amour illicite à une vendetta sanglante

Les archives révèlent que John Forde n’était pas un simple homme d’église. Cité dans une lettre de l’archevêque de Cantorbéry en 1332, il est accusé d’entretenir une liaison avec la noblesse – plus précisément, avec Ela Fitzpayne, une aristocrate redoutée. Cette dernière fut soumise à une pénitence publique humiliante : marcher pieds nus le long de la nef de la cathédrale de Salisbury, un cierge de deux kilos à la main, vêtue d’habits de pénitente.

Mais Ela n’était pas femme à se soumettre sans résistance. Cette amante déchue, humiliée par l’Église, semble avoir nourri un ressentiment tenace contre Forde, soupçonné d’avoir livré leurs secrets au clergé.

Complot, pillages et châtiment différé

Bien avant le meurtre, en 1322, Ela Fitzpayne, son mari le baron Robert Fitzpayne et John Forde avaient mené un raid contre un prieuré bénédictin – un acte audacieux de banditisme noble. Le prieuré, affilié à une abbaye française, fut saccagé, son bétail volé, ses terres mises à sac.

Cette complicité criminelle entre la noble dame et le prêtre jette un éclairage troublant sur la complexité de leur relation : alliés, amants, puis traîtres.

Enquête numéro 15 des registres du coroner de la ville de Londres pour l’année 1336–1337 (référence : CLA/041/IQ/01/006). Crédit : Les Archives de Londres.

L’assassinat : une scène publique, un message silencieux

Le 3 mai 1337, au cœur du quartier animé de Westcheap, John Forde est intercepté par un autre prêtre – Hasculph Neville – qui l’aborde sous prétexte d’une conversation amicale. Mais alors qu’ils approchent de Saint-Paul, quatre hommes surgissent : Hugh Lovell, frère d’Ela Fitzpayne, ainsi que deux anciens domestiques de la famille.

Forde est égorgé avec une dague de trente centimètres, puis poignardé à l’abdomen. Les témoins sont nombreux, le lieu symbolique, l’heure stratégique. C’est une exécution à visée démonstrative – un acte de revanche autant qu’un rappel cruel du pouvoir aristocratique sur le clergé.

Justice de classe et silence complice

Malgré une enquête poussée – 33 jurés furent convoqués, un chiffre exceptionnel – les meurtriers identifiés échappèrent à la justice. Aucun n’était localisable. Les autorités prétendirent que Lovell ne possédait rien de valeur à confisquer. Seul un domestique fut emprisonné… cinq ans plus tard.

Le professeur Eisner dénonce une justice médiévale profondément inégalitaire, où la noblesse pouvait frapper impunément sous le regard indifférent, ou complice, des institutions.

Ela Fitzpayne : femme de pouvoir, figure de transgression

Rare femme de l’époque à défier frontalement l’archevêque, à mener des expéditions punitives contre des institutions religieuses et à fomenter un assassinat public, Ela Fitzpayne incarne une figure hors du commun. Ni soumise à son époque, ni effacée par les normes religieuses ou sociales, elle demeure mariée à Robert Fitzpayne jusqu’à sa mort en 1354, héritant de ses terres et de son titre.

Sa vengeance, exécutée avec froideur et stratégie, s’inscrit dans un registre plus proche du crime politique contemporain que de la simple vendetta amoureuse. Une femme du XIVe siècle, à la fois criminelle, victime de l’ordre moral, et maîtresse du jeu.

Violence, pouvoir et humiliation : un triptyque médiéval toujours actuel

À travers ce cas d’école, le professeur Eisner souligne la puissance de l’humiliation publique comme moteur de violence. L’opprobre sociale infligée à Ela Fitzpayne par le clergé – sans contrepartie pour Forde – a cristallisé un désir de vengeance lent mais implacable.

Le meurtre de John Forde, acte sanglant mais savamment calculé, résonne comme un message clair : dans une société où l’aristocratie défiait l’autorité religieuse, l’ultime sanction pouvait surgir du poignard plutôt que du droit.

Sources : Université de Cambridge

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