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Une base de données archéologique révèle les liens entre logement et inégalités dans les sociétés anciennes
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Crédit : Pixabay / Domaine public CC0 |
Si l’interprétation des vestiges archéologiques s’avère correcte, les alignements de pierres découverts dans les gorges d’Olduvai, en Tanzanie, témoigneraient de la construction d’abris par Homo habilis il y a 1,7 million d’années. Cette espèce éteinte représente l’une des premières branches de l’arbre généalogique humain.
Les preuves archéologiques indiscutables de logements remontent à plus de 20 000 ans, à une époque où de vastes étendues de l’Amérique du Nord, de l’Europe et de l’Asie étaient recouvertes de glace, et où les humains venaient tout juste de commencer à se regrouper en communautés sédentaires.
Depuis cette période jusqu’à l’avènement de l’industrialisation, les archives archéologiques ne documentent pas seulement la sédentarisation à travers les habitations, mais révèlent également des signes manifestes d’inégalités sociales.
C’est ce que met en lumière une étude parue dans la prestigieuse revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS). À partir d’une base de données inédite regroupant plus de 55 000 mesures de surface au sol de logements anciens répartis dans le monde entier, des chercheurs ont exploré les liens entre la taille des habitations et les disparités économiques.
« Les archéologues s’intéressent depuis longtemps à la question des inégalités », explique Scott Ortman, professeur d’anthropologie à l’Université du Colorado à Boulder, qui a collaboré avec Amy Bogaard (Université d’Oxford) et Timothy Kohler (Université de Floride). « Si une partie des travaux publiés dans ce numéro spécial porte sur l’origine de ces inégalités, d’autres s’attachent à en comprendre les mécanismes plus généraux. »
Une base de données mondiale sur les logements anciens
Les trois chercheurs codirigent le Global Dynamics of Inequality (GINI) Project, abrité au Centre de synthèse collaborative en archéologie de l’Institut des sciences du comportement de l’Université du Colorado. L’objectif : compiler des données de logements anciens pour étudier les inégalités à l’échelle planétaire.
« En quelque sorte, nous avons lancé une opération de science participative », explique Ortman. « Nous avons sollicité des archéologues du monde entier, familiers du registre archéologique des habitations dans leurs régions respectives, pour concevoir ensemble cette base de données. »
Le résultat : une immense compilation de plus de 55 000 habitations issues de sites aussi emblématiques que Pompéi ou Herculanum, mais aussi de fouilles en Amérique, en Europe, en Afrique et en Asie. Étudiants en licence et en master ont également contribué à ce travail de titan, qui se poursuit encore aujourd’hui.
Les données couvrent des sociétés non industrielles, de 12 000 ans avant notre ère jusqu’à l’ère préindustrielle. Elles ont servi de socle à une série de dix articles scientifiques publiés dans ce numéro spécial de PNAS, consacré à l’étude des inégalités à travers le prisme de l’habitat.
Inégalités d’hier et d’aujourd’hui
Dans leur introduction à cette série, Ortman, Kohler et Bogaard rappellent que l’inégalité économique représente « un défi mondial majeur » dans la quête d’un développement inclusif et durable. Ils soulignent également ses liens étroits avec deux autres enjeux cruciaux : le changement climatique et la stabilité des régimes démocratiques.
« Des niveaux élevés d’inégalité sont historiquement associés à une faible résilience face aux perturbations climatiques », notent-ils. « Par ailleurs, les données contemporaines issues de plusieurs démocraties montrent que les inégalités alimentent la polarisation politique, la défiance envers les institutions, et l’érosion des normes démocratiques. »
L’archéologie permet donc de retracer une histoire ancienne mais récurrente de ces inégalités. L’avantage de cette approche : les logements issus de la même période et de la même région partagent des conditions climatiques, culturelles et technologiques comparables, ce qui permet des comparaisons plus rigoureuses.
Logement, croissance et disparités
Plusieurs articles du numéro abordent le lien entre la croissance économique et les écarts de richesse. Les chercheurs ne s’arrêtent pas à la simple taille moyenne des habitations : ils analysent aussi les évolutions dans le temps, à travers des séries chronologiques régionales reconstituées.
Ces travaux traitent également de l’impact de l’usage des sols, des conflits, et de la durée d’occupation des sites sur les disparités en matière de logement. Une étude dirigée par Ortman révèle que, dans les sociétés préindustrielles, la variation dans la taille des habitations est proportionnelle aux écarts de revenus, et peut donc servir d’indicateur conservateur d’inégalités de richesse.
« Nos résultats montrent que des inégalités fortes pouvaient s’enraciner là où les conditions écologiques et politiques le permettaient », commente Amy Bogaard. « Leur apparition n’est ni une conséquence automatique de l’agriculture, ni simplement dictée par l’environnement ou les institutions. Elle survient lorsque la terre devient une ressource rare pouvant être monopolisée. »
Cependant, certains systèmes politiques anciens ont su éviter les dérives extrêmes grâce à des formes de gouvernance plus équitables. Les chercheurs concluent que l’histoire offre des enseignements précieux : « Les données archéologiques montrent que le meilleur moyen de promouvoir un développement économique équitable repose sur des politiques et des institutions qui atténuent le lien entre productivité individuelle actuelle et croissance future. »
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