Découverte en Ukraine : les plus anciennes preuves de fabrication d’outils en ivoire, datant de 400 000 ans

Photographies et dessins de fragments d’ivoire de mammouth façonnés en « pointe » (1, 1a), en « nucleus » (2, 2a), ainsi qu’un fragment d’ivoire non modifié (3, 3a).Crédit : Stepanchuk et Naumenko, 2025.

Une étude bouleverse les connaissances sur l’utilisation précoce de l’ivoire par les hominines. Publiée dans The International Journal of Osteoarchaeology, la recherche signée des archéologues Vadim Stepanchuk et Oleksandr O. Naumenko révèle que l’ivoire de mammouth a été utilisé comme matériau pour fabriquer des outils bien plus tôt qu’on ne le pensait : il y a environ 400 000 ans, sur le site paléolithique de Medzhiboj A, en Ukraine.

Cette découverte recule de près de 280 000 ans la plus ancienne trace connue de transformation volontaire d’ivoire, jusqu’ici datée à 120 000 ans. Le site ukrainien, situé dans la vallée de la rivière Boug méridional, à proximité de la ville de Medzhybizh, a été identifié en 2011 et fouillé de manière intermittente jusqu’en 2018. Il révèle une occupation humaine étendue, avec des couches culturelles s’étalant de l’intervalle isotopique marin (MIS) 35 à MIS 11.

Parmi les découvertes : 24 fragments d’ivoire, issus de couches datées d’environ 400 000 ans grâce à la datation par résonance de spin électronique (ESR), à l’analyse géologique et aux données paléontologiques. Ces pièces ont d’abord été identifiées lors de l’étude de restes fauniques sans qu’aucune hypothèse spécifique ne guide l’analyse. Mais leurs caractéristiques singulières ont attiré l’attention des chercheurs.

« Les fragments d’ivoire ont été découverts lors de l’analyse en laboratoire des restes fauniques provenant des couches supérieures du site. Il s’agit d’un site du Paléolithique inférieur où les vestiges sont relativement modestes, mais on y retrouve aussi des artefacts lithiques et des os présentant des traces de découpe », explique le Dr Stepanchuk.

Parmi ces 24 fragments, 11 montrent des signes manifestes de modification intentionnelle. Six présentent des marques de taille, trois ont été travaillés selon la méthode du débitage bipolaire sur enclume, deux sont identifiés comme des éclats, un comme un « nucleus » et un autre comme une « pointe ». Ce sont ces deux derniers qui offrent les indices les plus clairs d’une transformation volontaire.

Fait notable, ces petits objets en ivoire sont rares même dans les contextes du Paléolithique supérieur. Leur efficacité pratique reste limitée, leur dureté étant bien inférieure à celle des pierres couramment utilisées. Sur l’échelle de Mohs, la dentine et le cément ont une dureté de seulement 2 à 4, contre 4 à 5 pour les calcaires siliceux et 7 à 8 pour le silex ou le quartz.

« Ces outils miniatures en ivoire sont beaucoup moins performants que leurs équivalents en pierre. Cela soulève des questions sur leur fonction réelle », poursuit le chercheur.

Malgré cette faible efficacité, les traces de façonnage volontaire sont indiscutables. Cela démontre que l’ivoire a été choisi et travaillé comme matière première bien avant ce que l’on supposait jusqu’ici.

Avant cette découverte, les premiers artefacts en ivoire connus dataient d’environ 40 000 ans, époque à laquelle l’ivoire devient un matériau courant pour fabriquer outils et ornements. Des indices sporadiques, comme un fragment taillé découvert sur le site néandertalien de Zaskalnaya V en Crimée, daté de 120 000 ans, suggéraient déjà un intérêt plus ancien pour cette matière.

Les auteurs avancent plusieurs hypothèses pour expliquer l’utilisation de l’ivoire à Medzhiboj A. L’une d’elles évoque une pénurie locale de matières premières lithiques, qui aurait incité les hominines à expérimenter des matériaux alternatifs, comme l’ivoire, tout en appliquant les techniques de taille habituellement réservées à la pierre : rotation, retouches, débitage bipolaire…

Autre piste fascinante : l’usage social ou pédagogique de ces objets. « Il est possible que ces artefacts soient le fruit de comportements d’imitation, peut-être de la part d’enfants mimant les gestes des adultes pour apprendre les techniques de taille. Dans ce cas, il ne s’agirait pas d’outils fonctionnels mais plutôt d’objets de jeu ou d’apprentissage », avance Dr Stepanchuk.

Les chercheurs n’écartent pas totalement l’hypothèse d’une datation erronée ou d’altérations naturelles, mais jugent peu probable que ces fragments aient été déplacés depuis des couches plus récentes. La complexité des techniques employées plaide fortement pour une origine anthropique.

Cette découverte, qui repousse les frontières chronologiques de la technologie humaine, éclaire d’un jour nouveau les capacités cognitives et l’ingéniosité des premiers hominines à s’adapter à leur environnement — y compris en réinventant les matériaux à leur disposition.

Sources :
Vadim N. Stepanchuk et al., The Earliest Evidence of Deliberate Ivory Processing Dates Back to Around 0.4 Million Years Ago, International Journal of Osteoarchaeology (2025). DOI: 10.1002/oa.3403.

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