Sous le mur d’Hadrien, la menace cachée : parasites et souffrances au cœur des légions

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Crédits : Archéo Actus.

Aux confins septentrionaux de la Bretagne romaine, là où la pierre du mur d’Hadrien se dressait face aux terres dites « barbares », les soldats de l’Empire ne luttaient pas seulement contre le froid, la pluie et les ennemis venus du nord. Une menace plus discrète, tapie dans l’ombre des infrastructures sanitaires, minait silencieusement leur santé : les parasites intestinaux.

À Vindolanda, fort militaire situé à proximité immédiate de ce rempart monumental, les vestiges archéologiques ont longtemps raconté la vie quotidienne des garnisons romaines — leurs lettres, leurs chaussures, leurs bains, leurs latrines. Aujourd’hui, ce sont les traces microscopiques laissées dans les sédiments qui livrent un nouveau récit, plus intime et plus inquiétant : celui des maladies chroniques qui affaiblissaient les défenseurs de l’Empire.

L’archéologie des excréments : quand les égouts parlent

Les chercheurs ont exploré les dépôts accumulés dans un ancien conduit d’évacuation relié à un complexe thermal du IIIᵉ siècle de notre ère. Ce canal, long de plusieurs mètres, recueillait les déchets issus de latrines collectives avant de les rejeter dans un cours d’eau voisin. Mélangés à la boue, aux objets du quotidien et aux ossements animaux, reposaient des indices biologiques d’une valeur exceptionnelle.

Grâce à des analyses fines menées en laboratoire, les sédiments ont révélé la présence de plusieurs parasites intestinaux affectant l’être humain. Parmi eux figuraient des vers ronds de grande taille, capables d’atteindre plusieurs dizaines de centimètres, des trichocéphales plus courts mais tout aussi délétères, ainsi qu’un organisme unicellulaire invisible à l’œil nu : Giardia duodenalis, responsable de sévères troubles digestifs.

La découverte de ce protozoaire marque un jalon important, car elle constitue la première preuve connue de son existence dans la Bretagne romaine.

Des ennemis intérieurs : anatomie des infections

Ces parasites ont un point commun fondamental : ils se propagent par la voie dite « fécale-orale ». Une hygiène imparfaite, des mains contaminées, une eau souillée ou des aliments mal lavés suffisent à déclencher la chaîne de l’infection. Dans un contexte militaire dense, où les hommes partagent latrines, bains et espaces clos, la transmission devenait presque inévitable.

Les conséquences sur la santé étaient loin d’être anodines. Les vers intestinaux provoquaient douleurs abdominales, crampes, nausées et diarrhées chroniques, tout en favorisant la malnutrition. Quant à la giardiase, elle pouvait entraîner des épisodes prolongés de diarrhée aiguë, une déshydratation sévère, une perte de poids rapide et une fatigue extrême — autant de symptômes incompatibles avec les exigences physiques du service militaire.

Médecine romaine : savoirs limités, remèdes impuissants

Si les médecins romains connaissaient l’existence des vers intestinaux, leurs moyens thérapeutiques restaient rudimentaires. Incapables d’éradiquer efficacement ces infections, ils se contentaient souvent de soulager les symptômes, laissant les maladies s’installer dans la durée. Ces affections chroniques affaiblissaient progressivement les soldats, réduisant leur endurance, leur vigilance et leur aptitude au combat.

Lors des mois d’été, périodes propices à la prolifération de Giardia dans l’eau stagnante ou contaminée, des flambées épidémiques pouvaient survenir, touchant simultanément de nombreux hommes. Sans traitement adapté, certaines infections pouvaient se prolonger pendant des semaines, voire davantage.

Une réalité partagée dans l’Empire

Les résultats observés à Vindolanda ne constituent pas une exception. Des analyses comparables menées sur d’autres sites militaires romains d’Europe révèlent une prédominance similaire de parasites liés à une contamination humaine directe. À l’inverse, les grands centres urbains de l’Empire présentent une diversité parasitaire plus large, liée notamment à la consommation de poisson et de viande insuffisamment cuits.

Ainsi, malgré la présence de latrines collectives et de systèmes d’évacuation sophistiqués pour l’époque, les installations romaines ne suffisaient pas à enrayer la circulation des agents pathogènes.

Regards croisés entre science et littérature

Il est frappant de constater combien cette réalité biologique rejoint les descriptions poétiques et littéraires de la vie militaire romaine. Le soldat transi de froid, rongé par les poux et les maladies, devient ici un être encore plus vulnérable, dont les souffrances ne se limitaient ni au climat hostile ni à la discipline sévère, mais s’étendaient jusque dans les profondeurs de son propre corps.

Comprendre le passé pour éclairer le présent

L’étude des parasites anciens ne relève pas de la simple curiosité scientifique. Elle permet de mieux comprendre l’évolution des maladies infectieuses, leur lien avec les modes de vie, l’organisation sociale et les infrastructures sanitaires. En révélant la fragilité sanitaire des armées romaines, ces recherches bousculent l’image idéalisée d’un Empire parfaitement organisé et technologiquement invulnérable.

À Vindolanda, chaque fragment de boue, chaque œuf microscopique raconte désormais une histoire de survie, d’endurance et de souffrance humaine, enfouie pendant près de deux millénaires sous les sols humides du nord de l’Angleterre.

Sources : Cambridge

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