Quand l’ADN réveille la mémoire des montagnes calabraises

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La vaste entrée de la Grotta della Monaca observée depuis l’intérieur lors des activités de terrain.
Crédit : Felice Larocca, CRS Enzo dei Medici

Au cœur des montagnes escarpées de la Calabre septentrionale, il y a environ trois millénaires et demi, une petite communauté humaine a laissé une empreinte silencieuse mais profonde. Longtemps enfouie dans l’obscurité minérale d’une grotte, son histoire vient aujourd’hui d’être révélée grâce aux outils les plus avancés de l’archéogénétique moderne. Pour la première fois, il est désormais possible de dresser le portrait biologique, social et culturel d’un groupe protoapennin ayant vécu durant le Bronze moyen, dans une région longtemps restée en marge des grands récits méditerranéens.

Cette avancée scientifique majeure repose sur l’étude de vestiges humains découverts dans une cavité naturelle emblématique, nichée au cœur du massif du Pollino. À travers l’analyse de l’ADN ancien, croisée avec des données archéologiques, isotopiques et anthropologiques, les chercheurs ont reconstitué les dynamiques démographiques, les liens de parenté, les pratiques alimentaires et certains comportements sociaux de cette population montagnarde.

La grotte, archive naturelle du temps long

Un sanctuaire minéral aux usages multiples

La grotte étudiée se distingue par sa position géographique singulière, à plus de 600 mètres d’altitude, dans un environnement difficile d’accès. Utilisée dès la préhistoire pour l’extraction de minerais — notamment le cuivre et le fer — elle a également servi de lieu funéraire collectif. Ce double usage, à la fois économique et rituel, en fait un observatoire exceptionnel des sociétés anciennes de l’Italie méridionale.

Les restes humains analysés sont datés entre la fin du XVIIIᵉ et le XIVᵉ siècle avant notre ère. Ils témoignent d’une occupation prolongée et structurée, loin de l’image d’un simple refuge temporaire. La grotte apparaît ainsi comme un espace central dans la vie communautaire : un lieu de mémoire, de filiation et d’identité collective.

Une signature génétique originale au sein de la Méditerranée de l’âge du Bronze

Entre continuités locales et connexions lointaines

L’étude génétique révèle que cette communauté partageait des affinités marquées avec des populations du début de l’âge du Bronze installées en Sicile. Toutefois, un élément majeur distingue ces groupes : l’absence d’influences génétiques orientales que l’on observe chez leurs contemporains siciliens. Ce contraste suggère que, malgré les échanges possibles à travers le détroit de Messine, la Calabre tyrrhénienne suivait une trajectoire démographique autonome, façonnée par ses contraintes géographiques et culturelles propres.

Loin d’être isolée génétiquement, cette population présentait néanmoins une diversité ancestrale complexe. Les génomes analysés montrent un mélange caractéristique de composantes issues des chasseurs-cueilleurs européens, des premiers agriculteurs néolithiques d’Anatolie et des pasteurs des steppes. Cet assemblage, courant à l’échelle de l’Europe de l’âge du Bronze, prend ici une forme locale singulière, révélatrice d’une histoire démographique spécifique.

Mobilité humaine et réseaux invisibles

Des déplacements à longue distance inattendus

Fait remarquable, deux individus étudiés présentent des liens génétiques avec des populations originaires du nord-est de la péninsule italienne. Cette découverte remet en question l’idée d’une communauté strictement confinée à son environnement montagnard. Elle suggère l’existence de déplacements humains sur de longues distances, de circulations de personnes — et sans doute de savoirs — à travers l’Italie protohistorique.

Ces mouvements, bien que rares, témoignent d’un monde déjà interconnecté, où même les communautés apparemment périphériques participaient à des réseaux d’échanges complexes.

Parenté, organisation sociale et pratiques funéraires

La grotte comme espace de structuration familiale

L’agencement des sépultures à l’intérieur de la grotte révèle une organisation précise, fondée sur le sexe et les liens de parenté. Cette structuration indique une gestion consciente de l’espace funéraire, reflet d’une société attentive aux filiations biologiques et à leur inscription symbolique dans le paysage.

Parmi les résultats les plus frappants figure l’identification génétique d’une relation directe parent-enfant au sein d’une union consanguine étroite — un cas extrêmement rare dans les données préhistoriques européennes. Cette découverte, bien que scientifiquement indiscutable, soulève de nombreuses interrogations quant à sa signification sociale, culturelle ou rituelle. Elle rappelle avec force la nécessité de distinguer les faits biologiques de leur interprétation anthropologique.

La récupération de restes squelettiques humains dans le secteur interne « m5v ». Crédit : Felice Larocca

Vivre de l’élevage sans tolérer le lactose

Une adaptation culturelle avant l’évolution génétique

Les analyses isotopiques et génétiques convergent vers une économie largement fondée sur le pastoralisme. Les membres de cette communauté consommaient régulièrement du lait et des produits laitiers, malgré l’absence de mutations génétiques favorisant la digestion du lactose à l’âge adulte.

Ce paradoxe apparent illustre un principe fondamental de l’évolution humaine : les pratiques culturelles peuvent précéder, voire contourner, les adaptations biologiques. Par des techniques de transformation du lait — fermentation, fabrication de fromages ou de yaourts primitifs — ces populations ont su exploiter les ressources animales de leur environnement montagnard, démontrant une remarquable capacité d’innovation face aux contraintes écologiques.

Une petite communauté, une portée scientifique majeure

Redéfinir le rôle des grottes dans les sociétés protohistoriques

Loin d’être de simples lieux marginaux ou symboliques, les grottes apparaissent ici comme des espaces centraux de cohésion sociale. La grotte étudiée fonctionnait comme un véritable cimetière communautaire, renforçant les liens familiaux et l’identité collective d’un groupe humain restreint mais solidement structuré.

Cette recherche renouvelle profondément notre compréhension des sociétés protoapennines et, plus largement, des racines biologiques et culturelles de la diversité humaine en Méditerranée. Elle démontre que même les communautés de montagne, souvent perçues comme isolées, jouaient un rôle actif dans les dynamiques complexes de la préhistoire européenne.

Sources : Nature.com

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