Quand Néandertal dessinait : les crayons d’ocre de Crimée dévoilent une pensée symbolique

Crédits : Archéo Actus.


Des pigments qui parlent du passé

L’ocre, minéral riche en fer, a longtemps accompagné les civilisations humaines dans leurs gestes les plus quotidiens : colorer les parois, orner le corps, préserver les peaux animales ou encore teinter les vêtements. Mais des fragments exhumés sur plusieurs sites néandertaliens en Crimée et en Ukraine révèlent aujourd’hui une dimension bien plus profonde : l’ocre aurait aussi servi à exprimer des idées, des symboles, peut-être même des émotions.

Une étude à la croisée de la science et de l’art

Sous la direction de Francesco d’Errico (Université de Bordeaux), une équipe internationale a examiné seize échantillons d’ocre vieux de près de 70 000 ans. Grâce à des instruments d’analyse de pointe — microscopes électroniques à balayage et scanners portatifs à rayons X —, les chercheurs ont pu retracer les gestes précis de ceux qui les ont façonnés. Chaque strie, chaque polissage raconte un usage réfléchi, loin du simple maniement utilitaire.

Le crayon de Néandertal

Parmi les découvertes les plus fascinantes figure un fragment d’ocre jaune, daté du Micoquien (environ 130 000 à 33 000 ans avant notre ère), transformé en un véritable outil de dessin. Sa pointe, plusieurs fois taillée et affûtée, prouve une intention claire : celle de tracer, marquer, peut-être orner une surface ou un corps. L’usure n’est pas le fruit du hasard mais d’une répétition consciente, presque artisanale.

D’autres fragments témoignent de gestes similaires : gravures minutieuses, polissages réguliers, fractures nettes issues d’une utilisation prolongée. Ces objets deviennent alors les témoins matériels d’une activité symbolique : la volonté de représenter.

Fragment d’ocre modifié (ZSKVI-01). Quatre vues du fragment d’ocre ZSKVI-01 montrant plusieurs transformations. (A) Surface externe friable présentant de nombreuses incisions, des piquetages et de courtes stries aléatoires sur des zones lissées. (B) Bord droit affichant une usure marquée avec de nombreux éclats microscopiques. (C) Surface interne concave, plus dure, présentant sur sa marge droite des traces caractéristiques. (D) Cassures fraîches dues à un écaillage récent. Échelle : 1 cm. Crédit : d’Errico et al., *Science Advances* 11, eadx4722.

L’ombre du mythe du “sauvage primitif”

Ces modestes morceaux de pierre viennent bousculer l’image longtemps figée du Néandertalien rustre et sans imagination. L’analyse des ocres montre des pratiques culturelles élaborées, comparables à celles des premiers Homo sapiens. Ces pigments ne servaient pas seulement à la survie, mais à la communication visuelle, à la transmission de sens.

L’acte de tailler un crayon, de le réutiliser, de conserver son outil préféré, révèle une pensée structurée, un rapport au monde empreint d’abstraction. L’ocre, dans sa teinte rouge ou jaune, devient alors le reflet d’une conscience en éveil.

Un témoignage sur les origines du symbole

Les résultats publiés dans la revue Science Advances apportent un éclairage nouveau sur les comportements cognitifs des Néandertaliens. Ils inscrivent ces populations dans une histoire de l’esprit humain plus complexe, plus nuancée, où la créativité, l’émotion et le langage symbolique précèdent de loin notre propre espèce.

Ces crayons d’ocre, minuscules mais éloquents, sont peut-être les premières traces d’art, les premiers signes d’un monde intérieur cherchant à s’exprimer.

Sources : sciences.org

#Archéologie #Néandertal #Préhistoire #Crimée #Symbolisme #Science #Anthropologie #ArtPaléolithique #Découverte #Ocre #HistoireDeLHumanité #RechercheScientifique #Hominidés

Commentaires