Quand les chasseurs-cueilleurs soignaient leurs blessés : la compassion aux origines de l’humanité

Exemples de modèles de soins — « léger » pour A, B et C ; « modéré » pour D et E : A) Fracture de l’os nasal B) Dépressions sur le crâne C) Fracture de côte D) Fracture de l’humérus E) Fracture de l’ulna
Crédit : Romano et al. 2025

Quand la préhistoire révèle les premiers gestes de soin

Une récente étude menée sur des restes humains découverts en Patagonie méridionale apporte un éclairage inédit sur la manière dont les sociétés nomades du passé prenaient soin de leurs blessés. L’analyse de 189 squelettes datant de la fin de l’Holocène, soit entre environ 4000 et 250 ans avant notre ère, a révélé une proportion étonnamment élevée d’individus ayant survécu à des traumatismes osseux, parfois sévères.

Les chercheurs ont minutieusement examiné plus de 3 000 fragments osseux issus de vingt-cinq sites archéologiques, afin de comprendre la nature des blessures et les implications sociales de leur traitement au sein de communautés non sédentaires.

Des blessures nombreuses, mais des survivants résilients

Près d’un cinquième des individus étudiés présentaient des traces de fractures ou de traumatismes osseux, de gravité variable. Hommes et femmes étaient touchés dans des proportions similaires, bien que les adultes aient été plus fréquemment blessés que les enfants.

La plupart de ces lésions semblent provenir d’accidents de chasse, de chutes ou d’activités quotidiennes exigeantes. Toutefois, deux cas suggèrent une possible origine violente : des pointes de flèches découvertes enchâssées dans les os témoignent d’affrontements ou d’accidents de chasse ambigus.

Trois degrés de soins : de la convalescence à la dépendance

Les chercheurs ont classé les blessures selon trois niveaux d’attention :

  • Soins légers : fractures du nez, du crâne ou des côtes, nécessitant quelques semaines de rétablissement. Ces blessures n’entraînaient que des ajustements mineurs dans la vie du groupe.

  • Soins modérés : atteintes plus sérieuses, notamment aux membres supérieurs, impliquant une immobilisation prolongée et une incapacité partielle pendant plusieurs mois. Ces cas suggèrent une entraide temporaire au sein de la communauté.

  • Soins intensifs : environ 13 % des individus présentaient des séquelles ou des handicaps durables, indiquant un accompagnement à long terme — peut-être jusqu’à la fin de la vie.

L’exemple frappant d’une hanche reconstruite

L’un des cas les plus remarquables concerne un individu dont l’articulation de la hanche était gravement déformée : la tête du fémur et la cavité pelvienne présentaient une désarticulation ancienne, complètement cicatrisée.

Une telle lésion aurait rendu la marche presque impossible sans assistance. Pourtant, la guérison complète de l’os atteste que cette personne a survécu plusieurs années après le traumatisme — preuve éloquente d’une solidarité active et durable au sein du groupe.

Les chercheurs évoquent deux hypothèses : un choc violent provoqué par une chute ou, plus rarement, une affection infantile telle que la maladie de Legg-Calvé-Perthes, entraînant la nécrose progressive de la tête fémorale.

Les origines profondes du soin humain

Si des exemples isolés de compassion préhistorique avaient déjà été observés ailleurs, cette recherche se distingue par son analyse à l’échelle d’une population entière de chasseurs-cueilleurs nomades.

Ces résultats éclairent la manière dont les contraintes de mobilité ont pu influencer la naissance des pratiques de soin. Les gestes d’entraide ne relevaient donc pas d’exceptions, mais bien d’une culture collective de la survie et de la solidarité.

Des indices plus anciens, datant du Moyen Holocène, confirment déjà la présence de soins dans la région — notamment un cas documenté de blessure au talon ayant manifestement guéri. Toutefois, aucune étude globale n’avait encore mis en évidence une telle organisation sociale autour du soin avant celle-ci.

Une humanité précoce et universelle

Cette recherche révèle que même dans des conditions de vie austères et incertaines, les sociétés du passé manifestaient déjà une empathie profondément ancrée. Le soin, loin d’être une invention récente, semble constituer l’un des traits les plus anciens et constants de l’humanité.

Sources : sciencedirect

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