Quand les femmes extrayaient le silex : une histoire oubliée du Néolithique

Reconstruction anthropologique des femmes H2a — à gauche — et H1 — à droite. Crédit : F. Fojtík dans Vaníčková et al., 2025.

Découverte d’un site minier ancien

Il y a près de trente ans, les archéologues mirent au jour une zone d’extraction de silex dans la forêt de Krumlov, en République tchèque. Cette activité, qui s’étend du début de l’Holocène jusqu’au premier âge du Fer, ne concernait que certaines cultures néolithiques spécifiques, parmi lesquelles celles du Vase en entonnoir, de Michelsberg, de l’Amphore globulaire ou encore de Mierzanowice.
Certains de ces lieux recelaient également des sépultures, comme celle de Mauer près de Vienne, en Autriche. Ces tombes comptent parmi les plus anciennes inhumations minières connues en Europe.

Des sépultures énigmatiques

Dans la forêt de Krumlov, trois individus furent exhumés : deux femmes adultes (H1/2002 et H2a/2002) ainsi qu’un nouveau-né (H2b/2002).
L’analyse anthropologique révéla que les deux femmes, âgées de 30 à 40 ans, avaient subi de lourdes contraintes physiques. Leurs vertèbres portaient les stigmates d’efforts intenses : excroissances osseuses, déformations articulaires, hypercyphose et érosions. Ces signes, associés à des insertions musculaires marquées, suggèrent un travail pénible en position penchée, vraisemblablement dans les galeries étroites d’extraction.

Un régime alimentaire singulier

Les analyses isotopiques indiquent que ces femmes étaient locales et bénéficiaient d’un apport exceptionnel en protéines animales, bien supérieur à celui observé dans d’autres populations néolithiques de la région. Ce régime particulier aurait pu être destiné à soutenir leur endurance dans l’activité minière. Toutefois, une fracture non consolidée de l’ulna montre qu’elles furent contraintes de travailler malgré leurs blessures.

Crâne de la femme H2a de face (A) et crâne de la femme H1 de face (B). Crédit : F. Fojtík dans Vaníčková et al., 2025.

Les liens du sang et les marques du stress

L’ADN démontre une parenté probable entre ces deux femmes, possiblement des sœurs. Leur enfance fut marquée par des périodes de grande privation, visibles dans leurs dents à travers les lignes de Harris et une hypoplasie de l’émail. La cause exacte de leur décès demeure inconnue.
Le nouveau-né, mort à terme, n’avait aucun lien de parenté avec elles, ce qui rend sa présence dans la sépulture encore plus mystérieuse.

Entre travail sacré et contrainte sociale

Pourquoi ces femmes furent-elles inhumées dans une fosse minière ?
Le silex extrait n’avait qu’une valeur pratique limitée, car il pouvait être ramassé en surface. Toutefois, les objets façonnés dans cette pierre – haches, lames, poignards – revêtaient un prestige symbolique et étaient souvent déposés dans des contextes rituels. L’extraction souterraine pouvait ainsi avoir une signification sacrée, reliant les vivants au monde des ancêtres.
Peut-être fallait-il restituer à la terre non seulement le fruit du travail des mineurs, mais aussi les mineurs eux-mêmes.

Réflexion finale

Ces découvertes questionnent notre compréhension du rôle social et genré dans les communautés néolithiques. Était-ce la force qui déterminait les tâches, ou bien la contrainte imposée aux plus vulnérables ? Ces deux femmes semblent incarner l’ombre de cette transition.

Sources : Springer

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