Sur les traces des derniers chasseurs de l’ère glaciaire : les secrets enfouis de la grotte de Knysna

Crédit : Unsplash / Domaine public CC0

Un monde englouti par les glaces

Il y a environ 26 000 à 19 000 ans, la Terre se trouvait plongée dans la dernière grande glaciation. L’hémisphère nord était enseveli sous d’immenses calottes glaciaires pouvant atteindre huit kilomètres d’épaisseur. Pendant ce temps, au sud, les paysages se faisaient plus arides, les eaux retenues dans les glaciers du nord provoquant une chute drastique du niveau des mers — jusqu’à 125 mètres en dessous de leur niveau actuel.

Ce retrait océanique a mis à nu des terres jusqu’alors englouties, notamment dans l’extrême sud du continent africain. Une plaine autrefois florissante, baptisée Plaine paléo-Agulhas, émergeait alors, s'étendant sur quelque 36 000 km² le long du littoral actuel de l’Afrique du Sud. Cette région disparue, avec ses savanes, ses zones humides et ses systèmes hydrologiques pérennes, évoquait sans doute la richesse écologique de l’actuelle Serengeti, accueillant de vastes troupeaux et les chasseurs humains qui les suivaient.

Un abri au-dessus des vagues disparues

Dominant aujourd’hui les flots de l’océan Indien, la grotte nommée Knysna Eastern Heads Cave 1 se situe à 23 mètres d’altitude. Mais à l’époque glaciaire, les vagues s’étaient retirées à près de 75 kilomètres, laissant place à une vaste étendue herbeuse. Aujourd’hui propice à l’observation des cétacés, ce promontoire rocheux offrait autrefois un poste d’observation idéal sur une steppe grouillante de vie.

Les fouilles archéologiques menées depuis 2014 par la professeure Naomi Cleghorn (Université du Texas) ont révélé une occupation humaine continue depuis au moins 48 000 ans, couvrant la transition entre l’âge de la pierre moyen et l’âge de la pierre récent — un basculement technologique survenu entre 40 000 et 25 000 ans avant notre ère.

Durant cette période charnière, les outils se transforment : leur taille diminue, les matériaux employés changent, et de nouveaux procédés émergent. Or, jusqu’ici, peu de sites documentaient cette époque avec autant de continuité que la grotte de Knysna.

Une adaptation humaine au rythme du climat

Avant que la mer ne recule, les habitants de Knysna profitaient des ressources maritimes à proximité : mollusques, poissons, crustacés. Mais avec l’avancée du froid et la baisse du niveau des océans, leur subsistance s’oriente vers les ressources terrestres, en particulier le gibier abondant sur la plaine paléo-Agulhas.

Une étude récente, à laquelle j’ai eu le privilège de contribuer, s’est penchée sur des outils de pierre datant de 19 000 à 18 000 ans. Les méthodes de taille et les matériaux employés nous offrent un aperçu des déplacements, des échanges culturels et des réseaux sociaux de ces chasseurs préhistoriques. Il semble que cette grotte ait davantage servi de campement saisonnier que de lieu de vie permanent.

La technologie Robberg : une innovation du froid

L’un des aspects les plus fascinants de ce site réside dans la présence de la technologie lithique dite Robberg, du nom d’un site emblématique sud-africain. Apparue aux alentours de 26 000 ans avant notre ère, cette technique s’est maintenue jusqu’à environ 12 000 ans, marquant une tradition longue et répandue dans toute l’Afrique australe.

Les outils Robberg sont des composants miniaturisés — principalement des lamelettes — probablement intégrés à des armes complexes comme des flèches munies de barbelures, efficaces pour la chasse aux grands troupeaux migrateurs.

À Knysna, la majorité des outils retrouvés ont été façonnés à partir de quartz local, un matériau coupant mais capricieux. Quelques spécimens, en revanche, sont en silcrète — une roche durcie par le traitement thermique. Ce processus, connu en Afrique australe depuis au moins 164 000 ans, est ici attesté pour la seconde fois dans le contexte Robberg. Le silcrète n’existant pas sur place, il provient sans doute des montagnes Outeniqua, à une cinquantaine de kilomètres : preuve potentielle d’un échange intergroupe ou de déplacements de grande ampleur.

Des réseaux humains étendus sur un continent

La comparaison avec d’autres sites situés au Lesotho, en Eswatini ou encore dans d’autres régions sud-africaines révèle une homogénéité frappante dans les outils Robberg. Ce parallélisme témoigne de l’existence de réseaux sociaux solides à l’échelle régionale, voire continentale. Les groupes humains de l’époque, bien que dispersés, partageaient savoir-faire, traditions et peut-être même des récits.

Fait intéressant : les couches les plus récentes de la grotte livrent moins d’outils, suggérant une fréquentation plus épisodique. Peut-être la grotte servait-elle de halte temporaire pendant les migrations saisonnières ou les expéditions de chasse.

Une humanité familière, dans un monde étranger

Les outils en pierre ne racontent qu’une partie de l’histoire. Que venait-on chercher précisément dans cette grotte ? Était-ce un point stratégique, un refuge temporaire, un lieu rituel ? Pour y répondre, il faut conjuguer l’étude du matériel lithique à d’autres disciplines : paléobotanique, géologie, analyses de résidus organiques...

Ce que l’on peut affirmer avec certitude, c’est que ces lointains ancêtres, vivant dans un monde rude et changeant, partageaient déjà des traits qui nous définissent encore aujourd’hui : la capacité d’innover, de transmettre, de tisser des liens au-delà de l’horizon. Leur quotidien était fait de défis, mais aussi d’art, de musique, de compagnie — parfois même animale.

En dépit du froid, des distances et du temps, ces hommes et femmes du Paléolithique nous ressemblent bien plus qu’on ne l’imagine.

Sources : The Conversation

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