Maternité dans l’ombre : la vraie histoire des prostituées du Moyen Âge

Détail de l’enfant inhumé (AA.OV/161). Crédit : Agence du Patrimoine de Flandre dans Poulain et al., 2025.

Un vestige oublié au cœur d’Aalst

C’est en 1998, au creux des fouilles préliminaires à l’aménagement de la place Oude Vismarkt, à Aalst, en Belgique, qu’un fragment troublant de l’histoire médiévale refait surface : les vestiges d’un établissement de bains du XIVᵉ siècle, connu sous le nom de Nederstove, prennent forme sous les outils des archéologues. Ce lieu, comme l’attestent les archives, servait aussi de maison close. Mais la découverte la plus poignante est celle d’un corps d’enfant, âgé d’environ trois mois, inhumé au sein même du bâtiment.

Une maternité insoupçonnée derrière les murs du désir

Longtemps, la documentation historique sur la prostitution médiévale s’est concentrée sur les structures, les propriétaires, et les répressions morales ou judiciaires. Les travailleuses du sexe, quant à elles, n’apparaissent que rarement — et souvent sous un jour accusateur, à travers des récits d’infanticides ou d’avortements. Pourtant, la science contemporaine vient brouiller ces préjugés tenaces.

L’étude de Dr Maxime Poulain, accompagnée de Céline Bon et Jessica Palmer, publiée en 2025 dans Archaeological and Anthropological Sciences, jette une lumière nouvelle sur cette réalité sociale méconnue. Grâce à une double approche — analyse de l’ADN ancien et étude isotopique des ossements — les chercheurs ont pu reconstituer une part de la courte vie de cet enfant.

Le petit disparu : bien nourri, aimé… et mort sans trace de violence

Les résultats sont sans équivoque : le nourrisson était un garçon, soigné, nourri au sein, exempt de maladies bactériennes telles que peste, lèpre ou choléra. Sa mort, bien que tragique, semble naturelle — probablement due à une infection virale non détectable, dans un contexte où la mortalité infantile avoisinait les 30 %.

Ces données contredisent les visions sombres habituellement associées aux enfants nés dans les bordels. La mère, vraisemblablement une prostituée, ne l’a pas abandonné ni supprimé. Au contraire, tout porte à croire qu’elle l’a aimé et soigné jusqu’à son dernier souffle.

Pourquoi enterrer l’enfant dans un bordel ?

C’est l’un des mystères les plus profonds soulevés par cette recherche. À cette époque, les sépultures en dehors des cimetières consacrés sont rarissimes. Quelques hypothèses se dessinent : un baptême manqué ? Peu probable, car en cas d’urgence, n’importe quel adulte pouvait baptiser un nouveau-né. Un manque d’argent ? Sans doute, mais l’usage voulait que, même dans la misère, des enterrements clandestins aient lieu dans les cimetières.

Alors, pourquoi ici ? Pourquoi si près du foyer ? Dr Poulain évoque une explication d’ordre spirituel : les croyances populaires médiévales prêtaient aux âmes des morts la capacité de rôder autour des âtres domestiques. En inhumant son enfant près du feu, sa mère aurait pu espérer lui offrir chaleur et présence — une forme de tendresse au-delà de la mort.

Une redéfinition du rôle des femmes dans les bordels médiévaux

Cette étude bouleverse la perception des maisons closes médiévales, bien souvent réduites à des lieux de perdition et de mort. Ici, au contraire, se dessine l’image d’un foyer, fragile mais réel, où l’amour maternel trouvait sa place malgré la stigmatisation. L’équipe de Dr Poulain projette désormais de poursuivre ses travaux dans les anciens quartiers chauds de Bruges, pour mieux comprendre les conditions de santé des habitantes et la réalité quotidienne de ces espaces marginalisés.

Vers une anthropologie du soin dans les marges du Moyen Âge

Cette découverte ne se limite pas à un fait archéologique : elle nous invite à repenser notre rapport au passé, à faire place à la nuance, à l’émotion, à l’humanité dans les interstices de l’Histoire. Une mère, un enfant, une tombe silencieuse sous les pierres d’un bordel — et soudain, c’est toute une époque qui se réécrit.

Sources : Springer

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