Un Joyau Byzantin Refait Surface : la Mosaïque Millénaire de Midyat

Photo: Halil İbrahim Sincar/AA

Dans la quiétude séculaire d’un ancien moulin de Midyat, dissimulé depuis des générations sous un épais manteau de poussière et de temps, une découverte inattendue est venue bousculer le regard que l’on porte sur l’histoire de cette vallée. Alors que l’édifice, niché dans les pentes douces de la province de Mardin, était en cours de transformation en un site touristique patrimonial, les ouvriers ont mis au jour une strate architecturale oubliée. Ce qu’ils ont révéla était bien plus qu’un simple vestige : une mosaïque byzantine vieille d’environ quinze siècles, d’une conservation remarquable, comme si les tesselles attendaient patiemment que le regard humain se pose à nouveau sur leur éclat minéral.

Sous le Sol, une Œuvre Silencieuse de Couleurs et de Formes

La découverte s’est produite presque par hasard — un hasard qui, en archéologie, ouvre souvent les portes les plus inattendues. En retirant les couches de terre compactée, les ouvriers ont perçu la vibrante géométrie d’un sol ornementé, révélant des fragments de couleurs éclatantes qui semblaient défier l’usure du temps.

Une fois l’anomalie identifiée, la Direction du Musée de Mardin a été immédiatement alertée. Une fouille de sauvetage s’est organisée dans l’urgence, dirigée par le conservateur en chef, İdris Akgül, assisté des archéologues Volkan Bağlaycı et Mehmet Şan. Ensemble, ils ont entrepris de libérer cette œuvre antique des contraintes de la terre qui l’enserrait depuis des siècles.

Petit à petit, ce tapis de pierre s’est dévoilé : une surface de quarante mètres carrés, un véritable manuscrit minéral dont chaque motif raconte un fragment de civilisation. L’entrelacement des formes — carrés, cercles, triangles, nœuds, vagues et symboles de l’infini — compose une esthétique raffinée typique de l’Empire byzantin, pour qui l’ordre géométrique matérialisait une vision du monde. Les médaillons et croix stylisées encadrant les scènes renforcent la dimension sacrée ou administrative de l’espace originel qu’occupait cette mosaïque.

Photo: Halil İbrahim Sincar/AA

L’Inscription énigmatique de “Tittos Domestikos” : une Identité Ressurgie du Passé

Au cœur de cette composition, une inscription fascine les chercheurs : Tittos Domestikos. Cette simple ligne, gravée avec une sobriété presque solennelle, constitue un point d’ancrage essentiel pour comprendre le statut, le rôle et peut-être même l’influence du propriétaire ou du commandeur de l’œuvre.

D’après les premières interprétations d’Akgül, “Tittos” serait probablement le nom d’un administrateur civil, un notable dont les responsabilités pourraient avoir englobé la gestion locale des terres ou des structures militaires. Quant au terme “Domestikos”, il désigne un titre prestigieux dans la hiérarchie byzantine, souvent porté par des responsables militaires de haut rang ou par des personnalités investies d’un pouvoir ecclésiastique considérable.

Cette inscription, aussi discrète qu’elle puisse paraître, devient une porte d’entrée vers l’univers social et politique d’une époque révolue. Ce simple nom réintroduit dans l’histoire une figure humaine, un individu qui, bien que disparu depuis plus d’un millénaire, laisse son empreinte par le biais d’un art conçu pour durer.

Une Première dans le Corridor Midyat–Nusaybin : Un Territoire Réévalué

La découverte revêt un intérêt majeur car il s’agit de la première mosaïque identifiée le long de l’axe reliant Midyat à Nusaybin, un corridor antique jalonné de forteresses, de caravansérails, de lieux d’échanges et d’occupations humaines remontant à la nuit des temps. Cette route, qui a vu défiler marchands, armées, artisans et pèlerins, se révèle aujourd’hui comme un nouvel espace d’exploration archéologique prometteur.

Akgül souligne avec enthousiasme :
« Cette vallée constitue l’un des premiers secteurs où nous avons entrepris des fouilles directes. Les informations que nous mettrons au jour nous permettront de réévaluer la chronologie et la structure historique de toute la région. »

Ainsi, cette mosaïque ne se contente pas d’être un objet d’art : elle devient un outil, un point de départ scientifique, susceptible de transformer notre compréhension du paysage historique régional. Elle témoigne d’une présence byzantine plus dense et plus sophistiquée que ce que l’on supposait jusque-là.

Entre Science et Héritage : Une Conservation Immédiate et Soignée

Conscients de la valeur exceptionnelle de la découverte, les experts en conservation préparent une série d’interventions minutieuses. Stabiliser, protéger, consolider les tesselles, analyser les pigments, étudier la structure architecturale sous-jacente : tout est mis en œuvre pour préserver ce fragile témoin du passé.

Dans un second temps, les responsables du musée travaillent déjà à l’élaboration d’un projet de conservation sur site, visant à rendre la mosaïque accessible au public sans compromettre son intégrité. L’ancien moulin, modeste bâtiment rural voué à une nouvelle vie touristique, pourrait ainsi devenir un centre d’interprétation archéologique, un lieu où passé et présent dialoguent en permanence.

Ce renouveau patrimonial pourrait transformer le paysage culturel de Midyat, attirer les passionnés d'histoire, stimuler la recherche, et inviter les visiteurs à contempler, en personne, la sensibilité esthétique et la maîtrise technique des artisans byzantins.

Une Redécouverte Qui Transforme Notre Rapport à l’Histoire

La mosaïque de Midyat, enfouie depuis quinze siècles et révélée presque par chance, incarne la persistance du passé au cœur même du présent. Elle rappelle que l’histoire n’est jamais figée : elle gît dans les profondeurs du sol, dans les murs oubliés, dans les paysages qui nous entourent. Il suffit parfois de soulever une pierre pour que resurgisse un univers entier.

Sources : anatolianarchaeology.net

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